"vers l'incalculable d'une autre pensée de la vie"

Month: April 2016

Compte rendu de séance: 20 avril 2016

Séminaire “Biographie”

Mercredi 20 avril 2016 – Maison de la Recherche 2.44 – 15h-17h

 

Yannick Gouchan (CAER – EA 854)

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Le Poète italien Giovanni Pascoli (1855-1912) à l’épreuve de la biographie : un exemple de « biographie critique »

La communication portera sur l’étude d’une biographie partielle du poète italien, publiée par Alice Cencetti (Giovanni Pascoli. Una biografia critica, Firenze, Le Lettere, 2009), qui propose de se focaliser seulement sur trois aspects de la vie de l’auteur afin d’approfondir, voire de « corriger » et de révéler, certains éléments. Cet ouvrage sera replacé dans une brève synthèse analytique des biographies de l’auteur.

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Patrick Di Mascio (LERMA – EA 853)

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Incidence de Freud dans le biographique : quelques remarques.

Incidence de Freud, et non influence (« L’influence de Freud sur la biographie fut considérable » dans le contexte moderniste note Hermione Lee qui ajoute que la psychobiographie est aujourd’hui « passée de mode »…). La connivence entre psychanalyse semble aller de soi : n’est-il pas question de la « vie », de l’histoire du sujet en psychanalyse, comme en biographie ? Certes… Et Freud lui-même, n’a-t-il pas fait, de quelque manière, œuvre de biographe ? C’est à ce point que les choses se compliquent : dans quelle mesure y a-t-il biographie dans ses « cas », dans ses « applications » de la psychanalyse ? Et l’histoire de la psychanalyse, si  intimement liée à la vie de Freud, n’invite-t-elle pas, à s’interroger, par un juste (« juste » ?) retour, sur les biographies de Freud ? Les sources, le fait, l’événement, l’anecdote, la vérité (y aurait-il une vérité biographique distincte de la vérité historique ou de la vérité poétique ?)… Telles sont quelques unes des problématiques  que l’incidence de Freud dans le champ biographique permet d’examiner. Nous proposerons quelques remarques…

 

Le poète italien Giovanni Pascoli à l’épreuve de la biographie : Alice Cencetti et la biographie critique

pascoli

      Alice Cencetti, Giovanni Pascoli.
Una biografia critica
, Firenze, Le Lettere, 2009.

 Contribution de Yannick Gouchan

(Aix Marseille Université – CAER EA.854 – Centre Aixois d’Études Romanes)

Les biographies du poète Giovanni Pascoli : 

Pascoli (1855-1912) fut l’un des grands poètes italiens entre les XIXe et XXe siècles, son importance dans l’histoire des lettres est considérable, car il a contribué de manière déterminante à faire entrer le langage poétique italien dans la modernité. La  première biographie importante à lui avoir été consacrée remonte à 1914 (Domenico Bulferetti, Giovanni Pascoli. L’uomo, il maestro, il poeta, Milano, Libreria Editrice Milanese). Puis d’autres biographies similaires suivront dans les années 30 et 50, parmi lesquelles nous retiendrons l’important volume de Mario Biagini, Il poeta solitario. Vita di Giovanni Pascoli, Milano, Corticelli, 1955.

La biographie événementielle de ce poète est assez modeste, voire banale, car c’est surtout dans les interstices des œuvres écrites qu’il faudra retrouver et reconstituer un récit de vie, comme le rappelle Marino Biondi : « la biographie est dans la poésie, la vie est dans les poèmes » (Préface du volume d’Alice Cencetti, Giovanni Pascoli. Una biografia critica, Firenze, Le Lettere, 2009 p. XVIII-XIX).

La grande étape véritablement marquante dans l’histoire des biographies de Pascoli correspond à l’année 1963, lorsque la sœur cadette de l’auteur publie un volume : Maria Pascoli, Lungo la vita di Giovanni Pascoli, Milano, Mondadori. Il s’agit d’une biographie monumentale écrite en collaboration avec Augusto Vicinelli, spécialiste du poète. Le filtre sororal à l’œuvre dans l’écriture biographique agit ici à deux niveaux, car si les souvenirs et les nombreux documents de Maria Pascoli permettent indéniablement de mieux cerner les vides des biographies précédentes, l’image du poète qui transparaît des pages de ce volume est conditionnée par la vision familiale, renforcée par le fait que Maria a vécu toute sa vie célibataire aux côtés de son frère, célibataire lui aussi, entretenant ainsi une relation étroite, jusque dans l’organisation des œuvres posthumes. C’est donc à partir de cette biographie essentielle, mais imparfaite, que toute la vulgate biographique pascolienne va se fixer, jusqu’à nos jours, pour ainsi dire. Maria a forgé une image de son frère marquée avant tout par le destin funeste, la perte des parents durant l’enfance, la lutte pour faire vivre les frères et sœurs, etc.

Une étape importante dans le travail biographique sera  franchie grâce au matériel proposé dans le volume Trenta poesie famigliari di Giovanni Pascoli, a cura di Cesare Garboli, Torino, Einaudi, 1990, qui est en réalité une anthologie de quelques poèmes « familiers ». L’intérêt biographique de ce volume réside dans sa préface qui apporte une nouvelle orientation critique (par exemple la définition du « stéréotype de Pascoli » et son dépassement) et surtout une impressionnante chronologie de plus de 160 pages (qui constituent quasiment la moitié du volume de l’anthologie) dans laquelle le critique Cesare Garboli a utilisé la correspondance de l’auteur. Cette chronologie se présente comme une suite de dates qui s’enchaînent, sans mise en intrigue qui permettrait de suivre un récit, avec des paragraphes de la main de Garboli et une grande quantité d’extraits de la correspondance et des témoignages qui permettent de combler des lacunes sur l’intériorité du poète, notamment ce qu’il éprouve lorsque son autre sœur cadette, Ida, se marie, son addiction au cognac de plus en plus inquiétante (un aspect souvent euphémisé dans les biographies précédentes), son rapport ambigu avec l’autre sœur qui vit avec lui, etc.

Parallèlement à cette importante chronologie qui paraît en 1990, la visée biographique sur Pascoli sera clairement marquée par la recherche des souterrains de l’individu et de ses rapports familiaux, grâce à des moyens qui appartiennent au domaine de la psychanalyse (Elio Gioanola, Giovanni Pascoli : sentimenti filiali di un parricida, Milano, Jaca Book, 2000 et Carmine Di Lieto, Il romanzo familiare del Pascoli : delitto, « passione » e delirio, Napoli, Guida, 2008) et au domaine de la psychiatrie (le médecin-biographe-enquêteur dans les placards et les recoins des archives de la maison du poète : Vittorino Andreoli, I segreti di Casa Pascoli. Il poeta e lo psichiatra, Milano, Rizzoli, 2006). Ajoutons enfin une biographie de la main du conservateur de la maison-archive de Castelvecchio-Pascoli : Gian Luigi Ruggio, Giovanni Pascoli (Tutto il racconto della vita tormentata di un grande poeta), Milano, Simonelli, 1998, qui entérine des éléments anecdotiques sur la psyché et les « tourments » de l’auteur en incluant des détails sur son quotidien.

Étude de cas : Alice Cencetti, Giovanni Pascoli. Una biografia critica (Firenze, Le Lettere, 2009)

Ce volume de 387 pages constitue un cas exemplaire de travail biographique dont la visée se propose non pas de raconter la vie d’un célèbre homme de lettres de l’Italie entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe, mais de mettre à jour trois fragments essentiels de cette existence, à savoir trois moments fondateurs pour la pensée et l’œuvre littéraire de l’auteur.

Le paratexte de l’ouvrage est assez riche pour y trouver des arguments qui justifient la pertinence de ce travail biographique, à savoir dépasser les stéréotypes habituels sur le poète, afin de proposer un « Pascoli non conventionnel ». On délaisse volontiers la part anecdotique de l’existence de l’auteur pour se concentrer précisément sur trois zones d’ombre qui méritent une mise à jour documentaire et scientifique, afin de dévoiler la part entre mythe et réalité, donc, implicitement, de s’éloigner à la fois de la légende fondée sur les souvenirs transmis par la sœur du poète (Maria) et des interprétations à tendance psychologisante qui ont fait florès. Le livre d’Alice Cencetti a d’ailleurs reçu le Prix Tarquinia Cardarelli en 2009. Le préambule, écrit par le maire de la localité de naissance du poète, Gianfranco Miro Gori, est suivi d’une longue préface, de la main de Marino Biondi, universitaire florentin, qui insiste sur le caractère novateur de cette biographie dans les études pascoliennes. On peut même dire que grâce à ce travail biographique la critique a pu envisager de nouvelles orientations.

Les trois moments clé qui ont été sélectionnés pour la biographie correspondent à une vision partielle de Pascoli, certes, mais se révèlent comme centraux dans la compréhension de sa pensée.

  1. L’assassinat du père : chronique judiciaire d’un fait divers tragique en 1867

La recherche d’Alice Cencetti a été menée pour tenter de comprendre, d’une part, les raisons de l’assassinat tragique de Ruggero Pascoli, père de Giovanni Pascoli, d’autre part, les difficultés rencontrées lors de l’enquête policière et judiciaire. La biographe exploite par exemple les comptes rendus du procès qui se conclura par la reconnaissance d’un crime perpétré par des inconnus, alors que les vrais coupables étaient connus, y compris par la famille de la victime qui ne pouvait pas parler librement. La biographie atteste définitivement le fait que le père du poète a été tué par deux sicaires à la solde d’un rival (Pietro Cacciaguerra) qui convoitait sa place comme régisseur de la propriété des princes Torlonia, à San Mauro de Romagne. La méthodologie de type historique s’accompagne ici d’une volonté de révéler les origines d’un crime prémédité et resté impuni à cause d’une omertà locale, et dont les conséquences sur le jeune poète seront fondamentales. L’accent mis sur le crime impuni – par des moyens d’investigation parfaitement documentés – permet de comprendre le sentiment de vulnérabilité et d’injustice qu’éprouvera sans cesse l’auteur obsédé par la perte de sa famille. En effet, ce crime entraînera indirectement, dans les mois qui suivront, la mort de la mère et de plusieurs frères et sœurs. Le mérite de la biographie de Cencetti réside dans l’effort pour reconstituer un contexte local violent, marqué par les convoitises au sein du monde agricole de la Romagne des années 1867. La biographie de Pascoli se mêle ici à la biographie d’une terre marquée par les luttes d’intérêt sanglantes. L’intention est bien de sonder le « côté obscur » (titre du premier chapitre) de la « Romagne ensoleillée » chantée par le poète à partir de la date tragique du 10 août 1867.

  1. La vie d’un étudiant subversif et sa passion pour la politique

Il s’agit dans ce chapitre de prendre en examen un épisode particulier de la vie de Pascoli (les trois mois passés en prison, à Bologne, en 1879), et d’étudier les effets de cet enfermement sur la personnalité et les opinions politiques du jeune homme. L’événement était déjà bien connu des biographes qui s’étaient concentrés sur une série chronologique comprenant les études à l’Université de Bologne, grâce à l’obtention d’une bourse pour l’orphelin qui entreprend des études de lettres classiques, puis l’engagement dans la mouvance de l’Internationale socialiste locale animée par Andrea Costa, la participation à une manifestation en faveur du régicide qui avait tenté d’assassiner Humbert I, suivie par l’arrestation et l’incarcération, puis l’intervention du professeur de Pascoli, le grand poète Carducci, la personnalité la plus influente des lettres italiennes à cette époque, enfin la libération et la fin des études, jusqu’à la nomination comme enseignant dans un lycée de Basilicate où l’auteur démarre sa carrière pédagogique.

La biographie “synchronique” d’Alice Cencetti cherche en revanche à creuser le milieu politique dans lequel l’étudiant a pu se former et finir par prendre une part active, notamment en remontant le fil de l’existence juste quelques mois avant le début des études, lorsque le poète résidait encore à Rimini, au lycée, et a connu les premiers contacts avec l’Internationale. La biographie de l’auteur permet ici de reconstituer le contexte de cette ville où fut créée la première Fédération italienne de travailleurs, en 1872. C’est aussi un autre voile que la biographie lève en expliquant le rôle des textes anarchistes rédigés par Pascoli, à l’origine de ses déboires avec la justice. Il s’agit notamment d’un hymne anarchiste inédit, écrit en 1878, exhumé en 2006, conservé aux archives de Bologne, puis publié récemment par Elisabetta Graziosi dans l’article « Pascoli edito e ignoto : inno per l’Internazionale anarchica », dans le Giornale Storico della Letteratura Italiana (a. CLXXXIV, fasc. 606, 2° trimestre 2007, pp. 272-281).

La biographie d’Alice Cencetti a donc marqué une étape décisive dans la reconstitution de la période mal connue entre l’adolescence et l’âge adulte de Pascoli. D’ailleurs, récemment, une critique spécialiste de l’auteur a publié un article approfondi qui retrace les années 1873-1882 (Elisabetta Graziosi, « Pascoli goliardo sovversivo », Giornale Storico della Letteratura Italiana, a. CXXX, fasc. 632, 4° trimestre 2013, pp. 501-537), afin de combler les lacunes que présentaient les biographies précédentes. L’intention du travail biographique, outre la restauration d’une partie méconnue de la vie de l’auteur, est bien de proposer une autre image de Pascoli, au point de provoquer une césure entre deux conceptions de l’existence pascolienne : d’une part, le poète marqué par un destin funeste, volontairement reclus avec ses deux sœurs, partagé entre son ambition universitaire et le repli géorgique dans sa maison de campagne, d’autre part, un jeune agitateur, actif au sein de l’Internationale socialiste italienne, diamétralement opposé à l’homme mûr consacré par la postérité. Dans ce cas, la portée de la biographie implique une prise en compte renouvelée de l’œuvre littéraire (par exemple la lecture du poème Gog e Magog – 1895 – à la lumière de l’engagement politique de l’auteur) en insistant sur l’écho qu’ont pu avoir les écrits de jeunesse (notamment certains manifestes), et l’effort postérieur pour effacer progressivement l’impact de l’engagement politique initial.

En bref, la poésie de Pascoli témoigne-t-elle exclusivement d’une idéologie propre à la petite bourgeoisie italienne de l’époque giolittienne (L’Italietta), ou doit-elle au contraire être replacée dans la formation internationaliste, socialiste et révolutionnaire de l’auteur à Bologne ? Plus généralement, il s’agit également de redonner à la période des études et de l’engagement politique une place importante dans le récit de la vie de l’auteur, par un déplacement du curseur vers la jeunesse, alors que dans les biographies précédentes c’était surtout l’enfance brisée et l’âge adulte qui dominaient pour expliquer l’œuvre, en se fondant sur le fait qu’après sa libération de la prison l’auteur tournera définitivement le dos au socialisme révolutionnaire pour lui préférer un “socialisme de cœur” plus humanitariste.

  1. La franc-maçonnerie : un Pascoli méconnu

La maçonnerie de Pascoli, dans la biographie écrite par sa sœur, se résume à une simple (dé)négation, voire une censure, comme l’indique l’intertitre du chapitre V de la première partie de Lungo la vita di Giovanni Pascoli : « Contro un’insinuazione malvagia ». Jusqu’à présent l’appartenance du poète à une loge maçonnique et son étude était restées enfermées dans le cercle restreint des études proprement maçonniques, écrites presque exclusivement par des Maçons ou des critiques proches d’eux. On citera par exemple le travail du traducteur français du Fanciullino, le texte de poétique fondamental de l’auteur, Bertrand Levergeois (Giovanni Pascoli. Le Petit enfant, Michel de Maule, 2004), et plusieurs interventions ponctuelles à l’occasion d’anniversaires ou de colloques spécialisés. La biographie d’Alice Cencetti démontre clairement que Pascoli a connu les Maçons dès l’acquisition de son diplôme universitaire, à Bologne en 1882, par une initiation dans la loge Rizzoli. Elle tente de reconstituer un parcours discontinu et passionnant, à la fois proche et lointain, entre Pascoli et la Maçonnerie. Un des documents permettant de contextualiser l’influence de la culture maçonnique sur l’écriture poétique est justement l’ensemble des textes préparatoires pour le cycle des Poemi del Risorgimento, inachevé en 1911, un an avant la disparition de l’auteur.

Loin de vouloir remettre en cause les données capitales fournies par la sœur du poète, Alice Cencetti, tout en rendant hommage à l’apport qu’a représenté la biographie qu’elle écrivit dans les années 1960, se propose de rectifier certaines approximations et de corriger parfois la dimension légendaire, en éclairant de manière sélective des étapes de la vie de Pascoli. On parle, dans ce cas, d’un travail de conservation et d’intégration biographique destiné en premier lieu à un public de chercheurs en littérature – rappelons qu’Alice Cencetti utilise des méthodes propres à l’investigation historique mais qu’elle a travaillé intégralement au Département de littérature italienne de l’Université de Florence –, mais aussi à des lecteurs de l’œuvre pascolienne curieux de pouvoir sonder les souterrains d’une personnalité dont on pensait tout connaître, à tout le moins ce qu’il était jugé comme important de connaître pour comprendre sa poésie.

La visée corrective de la biographie d’Alice Cencetti tient en même temps de la restauration érudite du matériel offert par les biographies qui la précèdent et de la réorganisation d’un équilibre structurel entre les périodes de la vie de l’auteur, de manière à mieux représenter le poids de certains enjeux familiaux et politiques dans l’économie générale d’un récit de vie, à la lumière des documents consultés et vérifiés. Si la visée corrective consiste donc à débloquer plusieurs verrouillages du mythe Pascoli afin d’en nuancer une vision édifiante – entretenue par la mémoire sororale –, elle agit par une opération précise de comblement des lacunes d’une chronologie établie par la famille plutôt que par une remise en question systématique des acquis biographiques antérieurs.

 

Sélection de biographies et de travaux biographiques sur Giovanni Pascoli (ordre chronologique de parution) :

-Domenico Bulferetti, Giovanni Pascoli. L’uomo, il maestro, il poeta, Milano, Libreria Editrice Milanese, 1914.

-Albert Valentin, Giovanni Pascoli, poète lyrique, Allier impr., 1925 (thèse de doctorat, Université de Grenoble).

-Mario Biagini, Il poeta solitario. Vita di Giovanni Pascoli, Milano, Corticelli, 1955.

-Maria Pascoli, Lungo la vita di Giovanni Pascoli, Milano, Mondadori, 1963, (Memorie curate e integrate da Augusto Vicinelli).

-Guido Capovilla, La formazione letteraria del Pascoli a Bologna. I. Documenti e testi, Bologna, Clueb, 1988.

Cronologia, in Trenta poesie famigliari di Giovanni Pascoli, a cura di Cesare Garboli, Torino, Einaudi, 1990.

-Gian Luigi Ruggio, Giovanni Pascoli (Tutto il racconto della vita tormentata di un grande poeta), Milano, Simonelli, 1998.

-Elio Gioanola, Giovanni Pascoli : sentimenti filiali di un parricida, Milano, Jaca Book, 2000.

-Vittorino Andreoli, I segreti di Casa Pascoli. Il poeta e lo psichiatra, Milano, Rizzoli, 2006.

-Gian Luigi Zucchini, L’ombra straniera. Vita e poesia di Giovanni Pascoli, Bologna, Capelli, 2006.

-Carmine Di Lieto, Il romanzo familiare del Pascoli : delitto, « passione » e delirio, Napoli, Guida, 2008.

-Alice Cencetti, Giovanni Pascoli. Una biografia critica, Firenze, Le Lettere, 2009.

-Elisabetta Graziosi, « Pascoli goliardo sovversivo », Giornale Storico della Letteratura Italiana, a. CXXX, fasc. 632, 4° trimestre 2013, pp. 501-537.

Ricoeur, Le Goff et Tan Da : “Petit rêve” et “Grand rêve”

Contribution Phuong Ngoc « Jade » NGUYEN (Maître de Conférences, IrASIA)

Inscrire le temps humain dans le temps 

 

Ma réflexion part de la question de St Augustin (« Qu’est-ce que le temps ? ») interrogé par Paul Ricoeur puis se nourrit de la lecture de la biographie de St Louis par Jacques Le Goff, afin de revenir au roman « Le Petit rêve » de Tản Đà, lettré confucéen devenu écrivain, qui se pose la question sur le temps et la vie humaine (sa vie précisément) au début du XXe siècle dans un Vietnam colonie française. Ci-dessous quelques citations pour inciter le lecteur à (re)lire ces textes.

 

Paul Ricoeur, Temps et récit, 3 tomes, 1983-1985. Ici : tome I. L’intrigue et le récit historique, Seuil, collection Essais, 2006.

St Augustin dans Confessions, livre XI :

« Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me pose la question, je sais ; si quelqu’un pose la question et que je veuille expliquer, je ne sais plus. » (p. 25) ;

« Et cependant, Seigneur, nous percevons les intervalles de temps ; nous les comparons entre eux, et nous appelons les uns plus longs, les autres plus courts. Nous mesurons encore de combien tel temps est plus court que tel autre » (p. 28) ;

« C’est au moment où ils passent que nous mesurons le temps, quand nous les mesurons en les percevant » (p. 28) ;

« D’ailleurs, quand on raconte des choses vraies mais passées, c’est de la mémoire qu’on tire, non des choses elles-mêmes, qui ont passé, mais les mots conçus à partir des images qu’elles ont gravées dans l’esprit, comme des empreintes, en passant par les sens. » (p. 31)

           

Mimèsis selon Aristote dans Poétique :

« […] ‘imitation ou la représentation de l’action dans le médium du langage métrique » (p. 70)

« L’imitation ou la représentation de l’action est une activité mimétique en tant qu’elle produit quelque chose, à savoir précisément l’agencement des faits par la mise en intrigue. » (p. 72)

Trois sens du mimèsis selon Ricoeur : « renvoi à la pré-compréhension familière que nous avons de l’ordre de l’action, entrée dans le royaume de la fiction, enfin configuration nouvelle par le moyen de la fiction de l’ordre pré-compris de l’action […] la fonction mimétique des récits s’exerce de préférence dans le champ de l’action et de ses valeurs temporelles. » (p. 12)

« [Les] présuppositions [de la première partie] ont un noyau commun. Qu’il s’agisse d’affirmer l’identité structurale entre l’historiographie et le récit de fiction […] ou qu’il s’agisse d’affirmer la parenté profonde entre l’exigence de vérité de l’un et l’autre modes narratifs […], une présupposition domine toutes les autres, à savoir que l’enjeu ultime aussi bien de l’identité structurale de la fonction narrative que de l’exigence de vérité de toute oeuvre narrative, c’est le caractère temporel de l’expérience humaine. Le monde déployé par toute oeuvre narrative est toujours un monde temporel. Ou, comme il sera souvent répété au cours de cet ouvrage : le temps devient temps humain dans la mesure où il est articulé de manière narrative ; en retour le récit est significatif dans la mesure où il dessine les traits de l’expérience temporelle. […] » (p. 17)

La vie humaine est celle des histoires qui, selon leur narration, peuvent changer le cours du temps :

« histoires non (encore) racontées » (p. 141-144)

« La conséquence principale de cette analyse existentielle [cf. Wilhem Schapp] de l’homme comme “être enchevêtré dans des histoires” est que raconter est un processus secondaire, celui du “devenir-connu de l’histoire”. Raconter, suivre, comprendre des histoires n’est que la “continuation” de ces histoires non dites. » (p. 143)

Jacques Le Goffe, Saint Louis (Gallimard, 1996 ; édition utilisée ici : coll. Folio Histoire, 2013, 1264 p.)

Projet de l’historien :

« Qui fut Saint Louis? Peut-on le connaître et, Joinville aidant, entrer dans son intimité? Peut-on le saisir à travers toutes les couches et les formations de mémoires attachées à construire sa statue et son modèle? Problème d’autant plus difficile que, la légende rejoignant pour une fois la réalité, l’enfant roi de douze ans semble avoir été dès le départ programmé, si l’on ose dire, pour être ce roi idéal et unique que l’histoire en a fait. Cette étude approfondie ne se veut – c’est ce qui fait sa puissante originalité – ni la «France de Saint Louis» ni «Saint Louis dans son temps», mais bien la recherche, modeste et ambitieuse, tenace et constamment recommencée, de l’homme, de l’individu, de son «moi», dans son mystère et sa complexité. Ce faisant, c’est le pari de fondre dans la même unité savante et passionnée le récit de la vie du roi et l’interrogation qui, pour l’historien, le double, l’habite et l’autorise : comment raconter cette vie, comment parler de Saint Louis, à ce point absorbé par son image qu’affleure la question provocatrice «Saint Louis a-t-il existé?». (4e couverture)

Que peut signifier la biographie pour un historien ?

« […] la biographie est une des plus difficiles façons de faire de l’histoire » (p. 17)

« Elle peut même devenir un observatoire privilégié pour réfléchir utilement sur les conventions et sur les ambitions du métier d’historien, sur les limites de ses acquis, sur les redéfinitions dont il a besoin. » (p. 18)

« [le personnage d’une biographie est un] sujet “globalisant” autour duquel s’organise tout le champ de la recherche. Or quel objet, plus et mieux qu’un personnage, cristallise autour de lui l’ensemble de son environnement et l’ensemble des domaines que découpe l’historien dans le champ du savoir historique ? Saint Louis participe à la fois de l’économique, du social, du politique, du religieux, du culturel ; il agit dans tous ces domaines en pensant d’une façon que l’historien doit analyser et expliquer – même si la recherche d’une connaissance intégrale de l’individu en question demeure une “quête utopique”. Il faut, en effet, plus que pour tout autre objet d’étude historique, savoir ici respecter les manques, les lacunes que laisse la documentation, ne pas vouloir reconstituer ce que cachent les silences de et sur Saint Louis, les discontinuités et les disjonctions aussi, qui rompent la trame et l’unité apparente d’une vie. Mais une biographie n’est pas seulement la collection de tout ce qu’on peut et de tout ce qu’on doit savoir sur un personnage. » (p. 18-19)

« […] si comme le veut Borges, un homme n’est vraiment mort que lorsque le dernier homme qui l’a connu est mort à son tour, nous avons la chance de connaître sinon cet homme, du moins celui qui, parmi ceux qui ont bien connu Saint Louis, est mort le dernier, Joinville, qui a dicté son témoignage exceptionnel plus de trente ans après la mort de Louis et qui est mort lui-même quarante-sept ans après son royal ami, à l’âge de quatre-vingt-treize ans. La biographie que j’ai tentée va donc jusqu’à la mort définitive de Saint Louis. Mais pas plus avant. Car écrire une vie de Saint Louis après Saint Louis, une histoire de l’image historique du saint roi, sujet passionnant, aurait relevé d’une autre problématique. » (p. 31)

Tản Đà Nguyễn Khắc Hiếu (1889-1939), Le Petit rêve (Giấc mộng con, publié à Hanoi en 1917, qui raconte un voyage autour du monde imaginé dans un rêve par un jeune lettré homonyme de l’auteur ; ce roman aura une suite publiée en 1932, cette fois un voyage imaginaire dans le royaume céleste où le narrateur est reçu par l’Empereur de Jade et rencontre de personnalités dont Jean-Jacques Rousseau)

Le roman commence par cette préface :

« L’homme est un être doué de conscience. Puisqu’il a une conscience, il est capable de rêver. En l’espace de cent ans, durée d’une vie humaine, la conscience peut explorer des contrées inaccessibles au corps. […] Le rêve est un instant de la vie qui réapparaît pendant le sommeil. Les scènes que l’on voit dans le rêve disparaissent quand on se réveille. Si c’est seulement un mensonge du Principe Créateur, quel est l’intérêt d’en parler ? Quel est, par surcroît, l’intérêt de les écrire ? Cependant les anciens disaient : « Les événements passés, parfois rêvés », et aussi « La vie est comme un grand rêve ». Ayant appris cela dans mes livres, je commence à réfléchir. Il m’apparaît ceci : les événements de l’année écoulée me paraissent parfois comme s’ils n’avaient jamais existé, c’est vrai également pour ceux du mois dernier, même pour ceux qui n’ont eu lieu que la veille. Il est vrai que certains événements de l’année passée, du mois dernier ou de la veille, continuent à avoir une existence, mais leur nombre est limité. Ayant compris cela, je me suis dit que les choses du rêve et celles de la vie ne sont pas si différentes : les choses de la vie ont une durée assez longue, dans le rêve elles sont de courte durée ; dans la vie les choses ont lieu essentiellement dans la journée, alors que le rêve se passe pendant la nuit ; les choses de la vie se passent souvent devant des témoins, elles ont donc une preuve d’existence, alors que le rêve n’est connu que de soi-même ; dans la vie, on voit les choses les yeux ouverts, dans le rêve, on les voit les yeux fermés. Les choses du rêve disparaissent si l’on ouvre les yeux, inversement celles de la vie doivent donc disparaître si l’on ferme les yeux. Il s’en suit que le rêve est un petit rêve et la vie est un grand rêve. Au réveil on sait que c’est un petit rêve. Quant au grand rêve, on y est encore, c’est pourquoi l’on ne sait pas encore que c’est un rêve. Tout cela est donc rêve, mais depuis des générations on écrit les annales et les histoires, les notes au fil de la plume et les récits de vie. Il faudrait noter aussi les rêves. Je suis sorti de mon petit rêve, je l’écris ici. Quant à mon grand rêve, j’attendrai mon prochain réveil…  1916         Le rêveur »

Le premier chapitre commence par la scène suivante :

« La nuit du 28 janvier de l’année du Dragon, soit la dixième année du règne de Duy Tân, soit l’an 1916 du calendrier occidental, moi, nommé Nguyễn Khắc Hiếu, je vis mon esprit partir dans une contrée lointaine, mon corps restant au lit.  Je vis : […]

Lệ Trùng : le temps se renouvelle chaque année à l’arrivée du printemps, la nature se renouvelle aussi chaque année avec le printemps […] Seul l’être humain voit partir son âge sans retour et ses cheveux blanchir sans espoir de les voir redevenir verts ! C’est pour cela qu’en contemplant le spectacle de la nature, les anciens sentaient souvent naître des émotions. Que ressentons-nous donc aujourd’hui, chers amis ?

Thu Thủy : le spectacle de la nature fait naître des émotions, nées du désir de se comparer aux montagnes et aux fleuves afin de connaître l’éternité. C’est un plaisir […] dans les temps anciens comme aujourd’hui.

Lệ Trùng : la nature, ces hautes montagnes et ces larges fleuves semblent avoir une âme et pourtant ce ne sont que des choses dépourvues de sentiments. C’est pour cette raison qu’ils ont une vie si longue. Quant à l’homme, son petit corps est accablé par les soucis et les émotions qui le bousculent jour et nuit. Les anciens disaient qu’il faut atteindre « le talent et la vertu ». Mais nombreux sont ceux qui n’avaient pas à se plaindre ni pour le talent ni pour la vertu, et pourtant, leurs corps disparus, on oublie jusqu’à leur nom et leur vie…

Nguyễn Khắc Hiếu (Hiếu) : c’est sans doute cela qui me rend enthousiaste au début de chaque promenade, ensuite ému et à la fin mélancolique. Est-ce ma faute ? Est-ce la nature qui fait naître la tristesse ?

Thu Thủy : non ! Je suis d’un autre avis ! La nature peut changer, les montagnes peuvent s’affaisser, les fleuves peuvent se tarir, l’océan peut gronder là où verdoyaient les champs de mûriers, mais les noms célèbres resteront à travers le temps. Voyez-vous, le mont Thu Duong peut un jour disparaître, mais la renommée des frères Di et Tê en Chine ne s’oubliera jamais. Le fleuve Bach Dang peut un jour se dessécher ou être remblayé, mais le nom de Tran Hung Dao, qui pourrait le faire disparaître de ce monde ? Les choses n’ont que leur enveloppe matérielle, et vont certainement disparaître… Les monts et les fleuves ont certes une longue vie, mais leur vie est courte par rapport à la renommée […]

Hiếu : c’est vrai ! Notre discussion n’est qu’un moment inspiré par le spectacle de la nature […] Le talent et la force de l’homme sont bien entendu limités, mais son devoir ne connaît pas de frontières. S’il n’a pas de centre d’intérêt, s’il ne détermine pas le but de sa vie, c’est comme s’il regardait l’océan en tenant une toute petite barque légère en bambou sur sa tête. On comprend qu’il soit découragé ! Et quand l’homme est découragé, il devient vite mélancolique…

Lệ Trùng : le Ciel a engendré la multitude des choses et des êtres de ce monde. Chacun a un caractère, une destinée et un talent qui lui sont propres, et donc des intérêts différents. L’intérêt des fauves est dans la jungle, l’intérêt d’autres bêtes est dans la mer, la petite cigale a son intérêt, la minuscule fourmi en a un autre. Ce sont là autant de caractères, de destinées et de talents pour servir autant d’intérêts différents. Parmi les humains, le Ciel distingue également les catégories diverses. N’étant pas à votre place, je ne sais pas si vous êtes comme le tigre, l’insecte, la cigale ou la fourmi. Fourmi ou cigale, insecte ou tigre, c’est vous seul qui savez. Cela ne peut pas être discuté avec d’autres personnes.

Hiếu : c’est vrai. Je ne peux pas vous demander de prendre une décision à ma place. Mais pour remplir sa mission, il faut avoir du talent. Pour avoir du talent, il faut s’instruire. Ce n’est pas avec une petite lampe et cinq charrettes de vieux livres que je vais y arriver. Alors comment faire ?

[…] La conversation se termina quand le ciel devenait plus sombre. En un clin d’œil, le paysage montagneux de Sài Sơn se transforma en un quai de gare, lieu des adieux. »

Le roman se termine par le retour du narrateur dans son pays natal avec le projet de « devenir philosophe et écrivain pour être utile à [son] peuple ».

Symposium: Reading Lives : the Biographical Approach in the Humanities and Social Sciences (Réunion – Feb. 2017)

The following universities are organising an international and interdisciplinary symposium at the Université de la Réunion, 23-24 February 2017, entitled:

Lire des vies
L’Approche biographique en sciences humaines et sociales

(Reading Lives
The Biographical Approach in the Humanities and Social Sciences)

(click for further information and call for papers )

Laboratoire de recherche sur les espaces Créoles et Francophones (LCF, Université de La Réunion)

Observatoire des sociétés de l’océan Indien (OSOI, Université de La Réunion)

Centre de recherche sur les médiations (CREM, Université de Lorraine/Université de Haute-Alsace)

Colloque interdisciplinaire et international
Lire des vies
L’Approche biographique en sciences humaines et sociales

Saint-Denis de La Réunion
UFR Lettres et des Sciences humaines (LSH) Université de La Réunion
23-24 février 2017

Informations: http://crem.univ-lorraine.fr/

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